Une attente interminable, un développement romanesque qui vaut toutes les fresques épiques et les péplums de la Terre et enfin, Il est là, Half-Life 2, celui qu'on a longtemps appelé l'arlésienne et qu'on finissait par prendre pour un mythe, une gigantesque farce ou un vaporware, du bruit du vent. Et bien que nenni, il existe bel et bien et si vous tenez à le savoir, il valait le coup d'attendre.
Half-Life 2
Half-Life c'est un prédateur, un Grand Blanc. Sa proie ? Votre vie sociale qu'il se fera une joie de mettre en pièces en vous bloquant 15 heures de rang sur votre PC. Le genre de jeu qui vous pousse à être adorable avec votre copine tout en la tannant continuellement jusqu'à ce que ce soit ELLE qui vous dise d'aller jouer sans que vous ayez le sentiment de lui fausser compagnie (que le joueur ayant vécu en couple sans faire ça une fois me balance l'Everest à la gueule). Indubitablement, il y avait un bail qu'un jeu ne s'était pas montré aussi prenant. Alors, jouer à HL2, ça se passe comment ? Et bien d'abord on se cogne un interminable loading qui ne débouche que sur un malheureux menu, un avant goût de l'un des défauts majeurs du jeu : des chargements intempestifs qui surviennent très fréquemment, de préférence au moment le plus inopportun et qui freezent le jeu pendant un temps conséquent. Idéal pour casser le rythme et l'ambiance, on apprend vite à haïr la chose.
Retour déroutant pour le Freeman.
Le prix à payer sans doute pour un jeu qui ne contient aucune coupure par la suite, ni cinématique, ni enchaînement de mission via un écran de loading, rien. On avance en permanence de scènes d'actions en exploration et rencontres d'alliés pratiquement comme en temps réel et dans le peau de Gordon Freeman. Très vite, il est évident que ce qui fait du jeu un incontournable, c'est sa force d'immersion. Débarquant dans la ville mystérieuse de City 17 dans laquelle les humains vivent dans de sombres ghettos, terrorisés par une étrange Milice, le joueur se trouve, avant même d'avoir compris que la cible c'est lui, poursuivit par cette dernière. Et ainsi tout commence. Durant les premiers temps du jeu, on se verra traqué comme une proie, en ville, sur les toits, dans une gare, avec un véritable sentiment d'urgence. Cherchant du regard la prochaine échappatoire au nouveau piège à rat dans lequel on s'est fourré, avant d'aller tenter sa chance en hydroglisseur pour une nouvelle course-poursuite de haute volée. La suite vous rendra votre place de chasseur cependant et il faut avouer qu'après un démarrage en trombe, on retrouve rapidement les bases du genre que le jeu n'a pas l'intention de révolutionner, simplement, il sait les assembler avec brio. Si on gratte un peu, on réalise qu'HL2, finalement, c'est un shooter presqu'à l'ancienne, on court, on tire et on ramasse des munitions ou des medi-kits éparpillés au sol ou rangés dans le demi-milliard de caisses en bois qui jonchent les niveaux. Après ça, on résout des puzzles afin de lever des obstacles. Vous voyez, c'est plus que classique et en plus, c'est ultra linéaire et scénarisé. On se croirait revenu en 99. Pourtant, quelle efficacité. Les puzzles par exemple feront souvent appel au moteur physique du jeu, en nous demandant d'alourdir une plate-forme afin de déclencher une réaction en chaîne. Si le concept est banal, la forme est au moins originale. C'est ce que l'on se dit lorsqu'on doit retirer les cales d'un blindé en charge sur un poteau électrique afin de le faire rouler et ainsi d'abattre ledit poteau.
Simplement jubilatoire.
Mais comme je le disais, si Half-Life 2 est si scotchant, c'est par son immersion. Les scènes d'anthologie s'enchaînent, qu'il s'agisse de la séquence en hydroglisseur ou à bord du buggy entrecoupées de haltes afin de débloquer le passage en faisant flotter un tremplin ou en replaçant une batterie sur un contacteur. Viennent aussi les combats contre des hélico de la Milice et d'autres. Valve sait continuellement renouveler les plaisirs et nous happer dans son univers. Ici on se la jouera James Bond dans les marais ou les canaux en hydroglisseur, là on prendra d'assaut une base ennemie en compagnie de créatures mutantes maintenues sous notre contrôle à l'aide de phéromones, juste après qu'elles aient elles-même failli nous écharper, là on ira lutter en ville contre une horde d'araignées géantes (Striders), peu après avoir attaqué une prison etc. Cependant, le jeu ne s'évite pas quelques longueurs à l'occasion. L'action n'est pas continuelle contrairement à la progression et il arrive qu'on trouve le temps long parfois ou que le schéma "je roule - je suis bloqué - je vais ouvrir la porte et je reviens dans 10 minutes" fatigue un peu. Un peu, mais pas trop. Et pas suffisamment pour que les autres aspects séduisants du titre en soient obscurcis ou que l'on se sente éjecté hors du monde dans lequel Gordon Freeman a repris connaissance. En dépit de l'absence de cinématiques, difficile de ne pas se dire qu'HL2 fait penser à un film de SF dont on serait le héros, mais d'une manière nettement moins dirigiste et scriptée qu'un Medal Of Honor, du coup, on y croit beaucoup plus.
Bienvenue dans un monde de pur bonheur.
Un film fort et très stylé dans lequel on prend un vrai pied à évoluer et dont les hostiles résidents sont un petit régal à affronter. Question de mise en scène mais aussi de design, à commencer par le design sonore, les voix mais surtout les effets sont une véritable réussite et la bande-son maîtrisée parvient à elle seule à donner corps et âme à cette Terre occupée et à cette invasion. Du bruit des hélicos en passant par la voix des Miliciens aux sons émis par les diverses créatures du jeu, rien n'est à jeter. Et lorsque les excellentes musiques viennent souligner une phase d'action, on bénit les compositeurs de Valve. Tout est là pour assurer une véritable crédibilité à l'univers et poser une ambiance d'oppression qui colle à l'idée de départ. Entre La Guerre des Mondes et le Jour le Plus Long, voilà où on se situe.
Dommage que l'IA ne soit pas plus poussée.
Le level design n'est pas à la traîne pour sa part et si d'un point de vue technique il est vrai que Valve ne frappe peut-être pas tout à fait aussi fort que Doom 3 ou Far Cry, il n'en est pas moins superbe et surtout peaufiné dans les moindres détails. Le design général n'a rien à envier aux meilleurs films de SF et en surpasse même certains, il suffit de voir City 17, une ville au style un peu victorien au sein de laquelle évolue les Miliciens qui évoquent des membres de la Gestapo qui n'auraient pas réussi à retirer leur masque à gaz, les sondes qui recherchent les "anti-citoyens" et plus. Et au milieu de tout ça, les constructions ennemies à l'architecture improbable. On ajoute des oiseaux qui volent ici et là, ou un simple train qui passe et une fois de plus on trouve un monde bien vivant.
On trouve le temps un tout petit peu long avec le buggy.
En sus de cette plongée irrésistible dans son univers et ses scènes d'actions variées, le jeu sait aussi se nantir d'autres atouts, dont son moteur physique (l'inénarrable Havok). Pourquoi tirer sur 4 ennemis quand il suffit de faire chuter l'échafaudage de bois qui les supporte ? J'ai déjà parlé des puzzles qui demanderont que la solution soit trouvée en pensant aux possibilités de réactions en chaîne mais on ne devra pas oublier l'arme Anti-gravité, seule arme vraiment originale du jeu. Grâce à elle on peut soulever des objets raisonnablement lourds ou bien en projeter d'autres plus gros, une voiture même. Inutile de vous dire que jeter une voiture sur une troupe de miliciens fascisants, c'est fun. Mais pas autant que soulever une lame de scie circulaire et de la lancer vers 4 ou 5 "zombis" qui vont apprécier l'humour tranchant de la chose.
Je vous présente mes nouvelles copines. Allez les filles, au turbin.
Décrire en quoi un jeu se montre génial quand il le doit plus à l'immersion du joueur qu'à une grande richesse de gameplay, voilà un exercice délicat, alors ne retenez qu'une chose, HL2, quand on le lance, on n'arrive plus à en sortir ou alors on demande à un copain musclé de vous arracher du clavier. Alors Half-Life 2 jeu ultime ? Jeu du siècle ? Ben... en fait non. Non pour diverses raisons. Qu'il ne soit pas la grande révolution du FPS, on ne va pas l'en blâmer, il fait une si bonne soupe dans son vieux pot. On citera dans les regrets, les fameux loadings, certes inévitables mais terriblement frustrants et néfastes à l'ambiance. Pour ne pas dire carrément lourds. Relative déception également au niveau de l'IA qui est loin d'être bluffante. D'un côté on trouvera une galerie de monstres stupides et plus ou moins agressifs qui vous foncent dessus à des vitesses variées. De l'autre, les miliciens, plutôt du genre suicidaire et qui ont beaucoup de mal à intégrer le fait que celui qui gagne à la fin, c'est vous et qu'ils feraient bien d'aller se planquer un peu au lieu de rester au milieu du chemin. On ne dira pas que l'I.A est mauvaise, mais elle est loin d'être à la hauteur des attentes placées en elle.
Ca ne se voit pas, mais tout ce bouzin là, ça bouge. Pire : ça bouge vers vous.
Mais ce sont également certaines lacunes qui étonnent considérablement et qui font cruellement défaut. Exemple bateau, l'ami Gordon ne sait se servir de ses mimines que pour tenir une arme. Attrapez un objet et vous le verrez flotter sous votre nez comme par magie. Grimpez sur une échelle et vous constaterez avec un petite moue triste que Gordon garde son arme à la main et ne saisit pas l'échelle. Ca fait tache dans une super-production du FPS en 2004, surtout pour un jeu qui fait tout pour être crédible. On enchaîne en regrettant l'impossibilité de se pencher pour tirer en coin, alors qu'on peut le faire dans la plupart des jeux actuels. Et enfin dernier reproche, Gordon ne parle pas. D'un point de vue des procédés narratifs et immersifs, ça se défend, dans la pratique, lors des scènes de causette, on a un rien l'impression de jouer les aventures de Rain Man, on ne répond pas aux questions, on n'en pose pas, on se tait et on joue les débiles. D'ailleurs, les questions, elles restent en suspens puisque paradoxalement, le scénario de HL2 n'est pas vraiment développé et encore moins clairement explicité. Un fait aussi surprenant que décevant. Que voulez-vous, la perfection on ne la trouve qu'aux cieux.